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Témoignage
Cérémonie mémorielle
du 9 février 2024

La prise de parole est un élément fondamental de la reconnaissance. Retrouvez ci-dessous le témoignage d’une victime, partagé lors de la cérémonie mémorielle du 9 février 2024, en soutien aux victimes du Verbe de Vie.

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C’est à la fois très difficile pour moi d’être devant vous, avec vous, et en même temps je vous remercie d’être là ; je connais le prix de cette démarche, cela me fait du bien de voir vos visages.
C’était éprouvant de se « re » préparer ; je n’ai pas vraiment compris le report et je me suis demandée si cela avait encore un sens pour moi ….


Oui cela a du sens.

 

J’aimerais aujourd’hui vous partager un peu de mon histoire qui est différente de la vôtre, c’est mon vécu, mon ressenti, et personne ne peut prétendre se mettre ni à votre place, ni à la mienne.

Je suis restée des semaines sans ne plus pouvoir parler. Plus un mot, plus un son sans être submergée ; j’ai encore du mal à parler alors j’écris : « L’écriture c’est le cœur qui éclate en silence ».

J’ai subi des violences psychologiques, spirituelles et sexuelles de la part de Jacques MARIN ; je ne pouvais plus prononcer son nom ; aujourd’hui je veux le dire : Jacques MARIN, tu n’auras pas, tu n’auras jamais le dernier mot.

J’avais 28 ans et cela a duré 10 ans.

JM était l’ami de notre famille ; il venait régulièrement chez mes parents lorsque j’étais adolescente. A cette période j’étais allergique au « bon Dieu », trop de « bondieuseries » à mon goût à la maison … mais au fond de mon cœur j’ai toujours eu cette soif de beau et de grand.

J’ai fait la connaissance du Verbe de Vie en 1990 lors d’une retraite prêchée par JM. J’ai fait une rencontre très personnelle avec le Christ, celle-ci a changé ma vie. J’avais confiance en JM, c’est lui qui nous a mariés, c’est lui qui a baptisé notre dernière fille. Il m’a proposé d’être un guide, de découvrir la parole de Dieu, les sacrements, je ne connaissais rien de tout cela et j’ai accepté.

Petit à petit il a eu de l’emprise sur moi. Véronique Margron vous parlez de goutte à goutte : c’est une image qui représente la justesse de l’emprise : une goutte, deux gouttes, cela ne fait rien de mal, mais une goutte chaque jour pendant plusieurs années devient un poison mortel. Je n’ai rien vu, je ne me suis rendue compte de rien. L’emprise, c’est comme un lavage de cerveau, une intrusion, une infestation dans ma conscience, ses mots emprisonnés dans mon esprit, il avait tout pouvoir. En s’appuyant sur la confiance, il m’a dressé à obéir et je lui étais soumise (et c’est si loin de mon caractère trempé ; je ne suis pas une personne docile, mais cela n’a absolument rien empêché).

Il recevait des couples, des personnes qui avaient subi des agressions sexuelles, et exerçait son soi-disant charisme de guérison. Il a fait tant de mal.

Il s’appuyait aussi sur la parole de Dieu, que je ne connaissais pas. Il disait qu’il était là, comme prêtre, pour me montrer la tendresse de Dieu ; il utilisait souvent les évangiles où Jésus guérit les malades, en les touchant, en allant à l’écart …. Il m’est encore très difficile de lire, d’écouter ces évangiles, je me bouche les oreilles où je sors de l’église.

On ne parle pas beaucoup des abus spirituels : je dirai ceci : il a violé le cœur du plus intime de l’intime, mon âme. Je ne veux plus entendre parler d’accompagnement spirituel.

Et puis sont venues les violences sexuelles, elles n’arrivent pas d’un coup. Et un jour, au bout de plusieurs années, je me suis réveillée. C’était pendant un accompagnement spirituel ; cet homme, qui se disait un homme de Dieu a commis l’immonde, je ne peux pas vous dire l’impudique. Il me disait : « J’ai bien le droit puisque tu n’es pas nue … ». J’ai ouvert les yeux, j’ai essayé de repousser ses sales mains, il était collé contre moi, il me serrait trop fort, je sentais son corps, son souffle, son odeur, mais je n’arrivais pas à me dégager.

Il passait de la douceur à la brutalité. Il y avait Dieu, toujours, il y avait aussi le sexe, toujours.

C’était tellement impensable que je n’ai pas pu crier, j’étais paralysée et glacée, « sa chose » ; je n’oublierai jamais ses yeux, j’ai refermé les miens. Je me rappelle cette frayeur et j’ai crié vers Dieu : mais où étais-tu mon Dieu ? où étais-tu ? pourquoi m’as-tu abandonnée ?

Ce n’était pas fini … Il y avait ensuite la confession … Je ne pourrai plus me confesser, je ne veux plus me confesser, cela n’avait rien à voir avec une confession.
Ce n’est pas que je ne crois pas en la miséricorde de Dieu, j’ai besoin aussi de vérité et de justice et pas seulement qu’on me parle de miséricorde …

Tout cela me dégoute. Il m’a salie dans ma dignité, il s’agit de dignité humaine.

Comment est-ce possible de survivre à cette violence ? à la honte ? à la destruction ? Comment ai-je pu accepter et vivre l’inacceptable pendant tant d’années ?

J’ai voulu parler : on ne m’a pas écouté ; une sœur de la communauté m’a dit « on ne passe pas derrière le père Jacques » : un saint sur terre …. Et puis auprès d’un prêtre qui m’a traitée de menteuse ; j’ai vraiment essayé, il m’a regardé de toute sa hauteur, c’était très humiliant, alors je me suis tue ; ce que je ne savais pas c’est que je n’étais pas la seule victime, je l’ai su 20 ans après. L’Eglise m’a abandonnée ; est-ce cela l’humanité de l’Eglise ?

Puis j’ai tout occulté (mon cerveau a tout occulté). Comment est-ce possible de ne plus se rappeler de tant d’horreurs ? C’est un phénomène de survie quand le cerveau n’est plus en capacité de lutter contre trop de violences.

Et 20 ans après, en septembre 2021, tout est remonté à la surface, c’était un cauchemar, tout explosait en mille morceaux. J’étais projetée dans un autre monde, en enfer, j’étais vivante et morte à la fois, comme si je marchais en dehors de moi, en dehors de mon corps, dans une étendue infinie de ruines. Je me sentais aspirée dans un puit sans fond, je me sentais engloutie.
Avec cette envie d’hurler, tant la violence arrachait tout en moi, mais je n’arrivais qu’à hurler en silence.

Ma détresse était continuelle, le jour, la nuit et c’était insupportable. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus, j’étouffais, je tremblais, submergée par la honte, la douleur, le chagrin et la peur ; je pleurais toute la journée, jusqu’à ne plus avoir de larmes. Je devenais folle ; je pensais à la mort et j’étais terrifiée.

Il n’y a pas que la mort du corps, mon corps sali, brisé, mais j’ai cru qu’il m’avait aussi volé Dieu et que mon âme était morte, alors pourquoi continuer à vivre dans un corps sans âme ? MOURIR ? La seule porte de sortie ?

PARLER …. Mais à qui parler ?
J’ai écrit, bien timidement, au prêtre de ma paroisse, qui a lu entre les mots ; pourquoi à un prêtre, je ne sais pas vous dire, mais il m’a cru, il m’a écouté et cela m’a sauvé, (merci Nicolas).

Puis j’ai pris rendez-vous, non sans mal, avec l’évêque du diocèse ; je voulais dénoncer ce que j’ai subi et sortir de ce silence qui tue. J’ai commencé à parler, car JM m’a aussi volé la parole, entre chaque mot je devais reprendre mon souffle. J’ai été écoutée, avec respect et pudeur, j’ai été crue, cela aussi m’a sauvé.

Mais il ne suffit pas de parler pour aller mieux, toutes les fondations de toute une vie se sont écroulées en un instant.

Savons-nous écouter ? Savons nous accueillir la parole de l’autre avec un cœur neuf ? En mettant de côté ses certitudes et ses préjugés ? J’ai rencontré dans ce parcours du combattant, une personne remarquable, qui m’a écoutée jusque dans tous mes silences, avec délicatesse et pudeur face à ma souffrance et à mon chagrin, nous avons fait du chemin ensemble, merci Laurence.

Puis j’ai commencé les soins, laborieusement, une psychothérapie ; je prends des somnifères, des anti-dépresseurs. J’aurais besoin de soigner mon corps imprégné par cette violence, mais il n’existe pas de structure de soins, il faut chercher soi-même.

Puis j’ai décidé de dénoncer cela aux autorités de l’Eglise : à la mission de France, au Verbe de Vie, à l’évêque de Châlons, à la CORREF, à la CEF, au Pape, à ceux qui pour moi portaient une responsabilité d’Eglise. Et toute cette colère en moi … J’ai eu des réponses à chacun de mes courriers, mais il y a quelque chose que je ne comprenais pas, toutes ces réponses commençaient par la même phrase : « Merci pour votre confiance » … sauf que pour moi, cela n’avait rien à voir avec la confiance, je voulais dénoncer, je ne savais même pas si on allait me croire, s’il y aurait une suite ; un même mot peut renfermer tant de significations différentes.

J’ai été trahie, la confiance était devenue presque impossible à offrir.
Et si je me trompe ….

Je n’arrivais plus à entrer dans une église, parfois j’avais des hauts le cœur, je n’arrivais plus à prier.

J’ai parlé ensuite à mon mari et à mes enfants, à quelques amies ; la souffrance ne rapproche pas, elle éloigne souvent, comment se rejoindre ?
Le plus douloureux est de lire l’incompréhension dans les yeux de ceux que j’aime.

Une étape difficile a été d’accepter que j’avais besoin d’aide ; pour être aidé, il faut réussir à parler, mais qui peut comprendre cet anéantissement, ce que l’on ressent dans sa chair et son âme ? J’apprends dans la durée, j’écoute beaucoup, mais c’est à moi de décider du chemin à prendre, si je me trompe je recommence. Il y a aussi cette part que je dois faire.

Pourquoi le silence de l’Eglise ? Ma vie a été brisée par ce prêtre, mais aussi à cause de l’Eglise qui n’a pas bougé, qui ne m’a ni écoutée, ni crue, ni protégée. A cause de son silence, de ses complicités, car certains savaient, JM a continué « ses saloperies » en toute impunité. A célébrer la messe, à donner les sacrements. Pour moi c’est insupportable. Quand on ne dit rien, quand on se tait, quand on ment, on est complice du mal, n’est-ce pas comme si on le commettait soi-même ?
L’Eglise n’est plus ma maison, je n’ai plus confiance, ce n’est plus ma famille.

Néanmoins je vous mentirais si je vous disais le contraire : cette Eglise qui m’a trahie, c’est la même qui est venue à mon secours, qui m’a tendue la main au travers de personnes qui vivent l’évangile de Jésus. C’est peut-cela le visage de l’Eglise, cette fraternité, cette liberté, cette proximité dans l’écoute et la vraie compassion et non pas toutes les belles paroles qui enferment Dieu dans une boîte dorée.

J’ai rencontré l’évêque de Sens/Auxerre, il s’est déplacé pour « écouter mon cri ». J’étais très en colère, dans l’incompréhension totale face au décret signé. J’avais l’impression qu’il ne comprenait rien à rien …  Puis petit à petit la colère a diminué et nous avons pu continuer à échanger avec respect et sincérité ; je l’en remercie.

J’aimerais parler aux prêtres, on me répond qu’il faut attendre le moment opportun … peut être dans 10 ans trouverons nous le moment opportun …  j’aimerais qu’ils se sentent concernés, j’aimerais leur dire que ce n’est pas en passant à autre chose que cela changera, j’aimerais leur dire que ce n’est pas que du passé, que si nous n’en parlons pas ensemble, rien ne changera. J’aimerais ne pas entendre « qu’ils se sentent humiliés » ; mais qui donc est humilié ? Il ne faut pas se tromper de victimes ; qu’ils se sentent accablés, oui.
Je ne comprends pas : ne devraient t’ ils pas avoir de la colère, et le dire, de la honte même jusqu’à verser des larmes …. Et le dire. Nous pourrions alors partager un peu de ce fardeau ….

Le pardon : je ne peux pas pardonner à JM, il n’est pas mon frère ; j’ai beaucoup de mal à accueillir les pardons de l’Eglise, même si je crois qu’ils sont indispensables, et j’ai du mal à me pardonner.

Dans ce parcours du combattant, j’ai saisi la CRR (en avril 2022) : les premiers entretiens ont été violents, c’était brutal et cela ne correspondait pas à mon rythme. On a cherché et trouvé ensemble comment continuer, afin que je sois actrice. J’ai pu dire des choses pour la première fois, j’ai pu mettre des mots sur des choses imprononçables, parce que c’était pour moi comme un empêchement de parler à cause de la honte, de la culpabilité, de la souffrance. Ma conscience se réveille doucement. J’ai de la reconnaissance pour tout ce travail et aussi de la gratitude.

Cela en lien avec l’administrateur du Verbe de Vie que j’ai rencontré et que je remercie pour sa détermination et son combat dans la recherche de la vérité.

Pour pouvoir faire un pas et avancer,  il faut déjà traverser « les ravins de la mort », avec cette part, qui je le sais restera sans doute irréparable, je crois que j’apprendrai à vivre avec.

Le parcours avec la CRR est pour moi une « forme de justice », avec la reconnaissance de ces violences.
La réparation financière était très compliquée : aucune somme d’argent, si élevée soit t’elle ne sera en mesure de réparer ma vie. Mais toutes sortes de questions revenaient …. Est-ce que c’était le prix de ma vie ? Est-ce que l’Eglise achetait quelque chose ?  Je préfère essayer de penser autrement, laisser une porte entrouverte.

Néanmoins, il reste en moi comme un goût d’inachevé, de la déception. Le VdeVie n’est plus …. Mais alors qu’en est t’il des réparations non financières ? Si toute cette démarche ne se réduit qu’au financier, elle n’a plus le même sens. Il y a bien des responsables ! Où sont t’ils ?

AUJOURD’HUI je mesure « un peu » ce que signifie « pas à pas ». Ce sera très long.
Je ne suis plus dans une détresse continuelle.
Je ne veux rien laisser dans l’ombre (même si je ne me souviens pas de tout).
Je suis passée de l’insupportable au supportable, parfois je peux même dire que je me sens bien, je ne savais plus que c’était possible et que c’était si bon de pouvoir respirer. J’ai choisi de vivre, je ne veux pas rester une victime toute ma vie, une survivante. Je veux être VIVANTE.

Alors je cherche ce chemin, ces chemins de vie qui me permettront de me reconstruire. Ne pensez pas que je n’ai plus de colère, j’ai tant de colère en moi. Je ne veux pas l’étouffer, mais je ne veux pas non plus la laisser m’étouffer. Je crois que la religion catholique a un problème avec la colère ….
Ce n’est ni de la haine, ni de la vengeance, je n’ai jamais ressenti cela.

Je pense aussi beaucoup à toutes les personnes qui ne sont plus, qui ne parlent pas ou ne peuvent plus parler, qui sont internées ou se sont suicidées ; c’est faux de dire qu’on se relève toujours. Je parle aussi pour elles.

L’emprise est encore présente : c’est en moi, toujours, je vois son visage, sa chemise, son pantalon, ses sandales, ses yeux révulsés, je sens son souffle, son corps contre le mien, et c’est terrifiant, car tout me ramène à lui, un bruit, une odeur, une tenue, une situation …. je n’ai pas d’arme pour lutter contre cela, les soins m’y aideront, je l’espère.

Il y a encore des jours où cette peur indescriptible m’habite, où j’étouffe, où j’aimerais hurler toute cette violence jusqu’à ne plus avoir de voix. Je n’aime plus être avec du monde, je ne supporte pas que certaines personnes s’approchent de moi, me collent où me touchent. La honte ne décolle pas de ma peau. Parfois encore, j’ai si mal que je me recroqueville dans ma douleur, j’aimerais que tout s’arrête.

Mais je ne suis pas seule, j’ai choisi la VIE, je rechoisis la VIE, et je me bats. Je veux m’en sortir.

ET DIEU dans tout cela ?

J’avais aussi de la colère envers Dieu. Je lui ai crié cette colère. Je me dis que c’est peut-être un miracle de ne pas avoir perdu la foi ?

Ce que je crois, c’est que Dieu est présent au cœur des rencontres que j’ai faites et que je fais. Je crois que c’est comme cela qu’Il m’accompagne et qu’Il me dit son amour. Je crois aussi en la force de la prière, et je m’appuie bien souvent sur celles des autres. Chacune des rencontres est étonnante, parfois si improbable, chacune des personnes m’aide à vivre, à espérer, à croire que la vie est belle, qu’elle est plus forte que toute la mort qui a été semée en moi.
C’est cela pour moi l’espérance.

C’est un sourire, un bouquet champêtre devant ma fenêtre, une promenade, le câlin d’un enfant, un geste délicat, une attention, un échange, qui m’apportent de la consolation.
Avec beaucoup de simplicité.
Chaque personne est un cadeau. Je crois que c’est ainsi que mon chemin de vie se dessine ; je n’aurais jamais rencontré ces personnes avant … c’est une grande question pour moi.

C’est au cœur de ce que je vis que ces belles rencontres se font, non pas malgré ce que je vis.
Dieu est présent au cœur de ce que je vis (merci Samuelle).

Je crois pouvoir dire que je suis passée de la mort à la vie.

 

Merci à Laurence, Pascale, Samuelle, Véronique, Maya, Charlotte, Nicolas, Gérard, François, Anne-Sophie, Colette, Sophie, Bertrand, Jean-Luc, Régis, Caroline, Hervé, Dorothée, Marie Gabrielle, Marie Charles, Dominique, Daniel, Frédéric …. Et bien d’autres

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En savoir plus

Le 9 février 2024 une soirée mémorielle a été organisée à la Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) en présence de six victimes du prêtre Jacques Marin, de la Mission de France, qui a commis de nombreux abus sexuels lors des confessions qu’il pratiquait dans la Communauté du Verbe de Vie, désormais dissoute en raison des nombreux abus spirituels et psychologiques dénoncés par les communautaires.

AVEZ-VOUS ETE VICTIME D'ABUS SEXUEL COMMIS PAR UN RELIGIEUX ?
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